Par intervenant > Parsapajouh Sepideh

Le religieux entre ethnicisation et étatisation : la cérémonie d'Âshurâ' à Téhéran aujourd'hui
Sepideh Parsapajouh  1@  
1 : Centre d'Etudes Interdisciplinaires des Faits Religieux  (CEIFR)  -  Site web
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)
10, rue Monsieur le Prince, 75006 - PARIS -  France

 Loin d'être une religion monolithique, l'islam se caractérise par sa pluralité. Cette pluralité est dominée par deux grandes branches qui se sont construites en opposition réciproque tout au long de l'histoire — la majorité sunnite, issue de l'allégeance aux premiers califes ayant succédé au Prophète et la minorité chiite, placée sous l'autorité spirituelle du cousin et gendre de Muhammad — dont la rivalité alimente l'actualité la plus conflictuelle.

La cérémonie d'Âshurâ' commémore chez les chiites le martyre de leur troisième imâm, Husayn, fils cadet de ‘Alî, à la bataille de Karbalâ' (681). Cet évènement tragique fut à bien des égards fondateur du chiisme et sa commémoration, qui prend des formes assez diverses selon les périodes et les régions, est jusqu'à aujourd'hui un véritable marqueur identitaire de l'islam chiite.

En Iran, pays majoritairement chiite depuis des siècles, les cérémonies d'Âshurâ' sont l'expression la plus flagrante de la dévotion populaire et représentent un « fait social total ». Au cours de l'histoire récente, deux faits sans précédent en ont profondément modifié les formes et les enjeux : l'exode rural et la Révolution islamique. Depuis le début des années 60, de nombreuses communautés ethniques issues de toutes les régions d'Iran et de pays frontaliers (Azeri, Lors, Fars, mais aussi Afghans) se sont concentrées dans la capitale. À observer les cérémonies d'Âshurâ' dans l'espace urbain de Téhéran, il apparaît que ces communautés en saisissent l'occasion pour montrer leur différence et rivaliser de ferveur, à travers des performances spectaculaires conjuguant la musique, l'auto-flagellation et l'exhibition d'objets emblématiques. Par ailleurs, l'État de la République islamique s'emploie depuis 1979 à encadrer ces cérémonies pour affirmer son autorité religieuse et consolider l'unité nationale. Dans ce but, certains traits cérémoniels se sont vus renforcés et d'autres marginalisés, comme les célèbres mortifications sanglantes et certains particularismes ethniques. 

Dans cette communication, je montrerai comment la cérémonie multiséculaire d'Âshurâ', dans le contexte particulier de son étatisation en Iran actuel, suscite des formes de réinvention et de réappropriation inédites par les groupes ethniques et sociaux minoritaires dans la capitale. Ce processus d'ethnicisation du rituel peut être illustré par le jeu agonistique accru, les stratégies variées d'occupation de l'espace public, les formes diverses de création artistique, musicales notamment, mobilisées par la cérémonie, ainsi que par certains aspects de concurrence économique.


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