Par intervenant > Vanel Chrystal

Mormonisme, race et ethnie : du discours théologique à l'analyse sociologique
Chrystal Vanel  1@  
1 : Groupe Sociétés, Religions, Laïcités  (GSRL)  -  Site web
CNRS : UMR8582, École Pratique des Hautes Études [EPHE]
Site Pouchet 59-61, rue Pouchet 75849 Paris, cedex 17 -  France

Il s'agira lors de cette communication d'analyser la place importante des concepts de « race » et d' « ethnie » en mormonisme, au regard de l'histoire de la théologie mormone et d'études sociologiques américaines sur le mormonisme.

Une première partie retracera l'histoire de la théologie raciste du mormonisme. Le Livre de Mormon, texte fondateur du mormonisme publié en 1830, oppose les gentils Néphites aux méchants Lamanites, que Dieu maudit par une « peau sombre ». Dans l'Amérique du XIXe siècle, la théologie mormone canonise l'herméneutique biblique raciste protestante populaire qui considère les « Noirs » comme des descendants de Caïn, justifiant ainsi leur exclusion du sacerdoce mormon, réservé à tous les hommes « blancs » dès l'âge de 12 ans (D. Smith, 2004).

Alors que dans la seconde moitié du XXe siècle cette théologie raciste est fortement critiquée dans une Amérique protestante bouleversée par le Mouvement des droits civiques, le mormonisme justifie son refus de la prêtrise des « Noirs » par une cosmologie particulière : dans le monde prémortel, avant la création physique, certains auraient été neutres dans la lutte qui opposa Lucifer à Jésus : ils s'incarnèrent dans des corps terrestres « noirs » (Fielding Smith, 1954). En 1978, l'Église mormone ouvre finalement son sacerdoce aux « Noirs ». Si l'institution justifie cette réforme par une « révélation divine », pour l'historien, elle se fait plutôt suite à des pressions sociales aux États-Unis et à un désir de s'exporter en Amérique du sud et en Afrique (D. White, K. White, 1980).

En deuxième partie, nous discuterons du concept d' « ethnicité » en mormonisme. Dès les années 1970, des sociologues américains attribuent aux Mormons la qualification d' « ethnie » (A. Mauss, 1994), alors que des minorités revendiquent une identité ethnique aux États-Unis (D. Lacorne, 1997). En 1980, les Mormons ont même droit à leur entrée dans le Harvard Encyclopedia of American Ethnic Groups. Sans doute cette définition ethnique du mormonisme est-elle facilitée par sa théologie. Héritier du prémillénarisme de Joseph Smith, le mormonisme entend rassembler les tribus d'Israël en préparation au retour du Messie. Les Mormons se considèrent donc comme des descendants des tribus d'Israël, par filiation ou « adoption ». Cette généalogie israélite revendiquée par le mormonisme participe aux parallèles que certains chercheurs dressent entre Juifs et Mormons (J. Shipps, 1985 ; D. May, 2001), alors que d'autres soulignent les limites importantes d'une telle comparaison (A. Mauss, 1994).

Dans une troisième partie, alors que notre recherche s'inscrit dans les débats académiques francophones, nous remettrons en cause le terme d' « ethnie » utilisé par certains chercheurs américains pour caractériser le mormonisme. Certes, aux États-Unis, les termes de « race » et de « groupe ethnique », qui sont synonymes, renvoient à « un construit social » et sont utilisés par « des sociologues, des politologues, des historiens » (D. Lacorne, 1997). Les sciences sociales françaises utilisent cependant le concept d' « ethnicité » avec beaucoup plus de précaution (P. Poutignat, J. Streiff-Fenard, 1995), et comme le souligne Colette Guillaumin (2002), ce terme entretient souvent des rapports ambigus avec à la notion de « race », centrale dans les théories racistes. Nous préférons donc parler du mormonisme comme d'une culture américain particulière, rejoignant ainsi la spécialiste française du mormonisme Bernadette Rigal-Cellard (2012) pour qui le mormonisme est une « culture anglo-saxonne conservatrice », et le sociologue américain Thomas O'Dea, qui définit le mormonisme comme une « sous-culture particulièrement américaine » (1957). Et contrairement à d'autres mouvements religieux qui s'exportent « sans culture » en dehors de leur territoire d'origine (O. Roy, 2008), le mormonisme tend à exporter la même culture américaine conservatrice en dehors de sa terre promise américaine d'origine (D. Davies, 2003).

En conclusion, nous verrons que si l'Église mormone répudie aujourd'hui son ancienne théologie raciste, alors qu'elle est actuellement critiquée pour refuser son sacerdoce aux femmes et aux homosexuels, ce racisme fait toujours partie du folklore mormon.


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