Dans l'approche des rapports entre ethnicité/race et religion, bien des travaux cherchent à construire un lien général, préétabli entre ces deux phénomènes au risque de les essentialiser ainsi que la relation qui les unit. A ce titre, les Soninké en tant que ‘'collectivité historique'' dont la définition de soi mobilise généralement l'islam se sont prêtés d'eux-mêmes et à travers des travaux académiques (Guy Nicolas, 1978; J. Barou, 1978 ; M. Timéra, 1996) à des formes variées d'articulation du religieux et de l'ethnique qui ambitionnaient peu ou prou la formulation d'un lien stable échouant à saisir la portée contextuelle, stratégique, parfois fluide et changeante des processus d'identification.
Si la réflexion s'est largement occupée de l'articulation religion et ethnicité/race, c'est sans doute au regard de la force de mobilisation de ces idiomes et signes dans les processus d'identification individuels et collectifs. Cette attention ne doit néanmoins pas exclure l'intérêt pour d'autres idiomes comme la langue ou la ‘'culture'' par exemple dont le lien -autant avec le religieux qu'avec l'ethnicité- peut être ténu dans les définitions et constructions de soi.
Plusieurs paradigmes peuvent être convoqués pour penser cette articulation. Le paradigme primordialiste qui définit le socle ultime, fondamental, le dernier substrat en procédant par élimination. Une telle vision de l'identité est aujourd'hui largement remise en cause par les approches constructivistes. Le paradigme intersectionnel prend en compte l'imbrication de différentes catégories de statut, de condition et de définition de soi. Sa portée est de maintenir une vigilance épistémologique pour la prise en compte des diverses catégories du social dans l'analyse. La fécondité de cette méthode tient dans une large mesure à la nécessaire contextualisation des imbrications, à leur ancrage social, moyen privilégié pour saisir un ‘'fait social total''.
En choisissant de rompre avec l'optique d'un lien général, stable et défini une fois pour toutes, nous nous proposons dans notre communication d'interroger chez les populations soninke à demeure et en diaspora des mobilisations, des discours, des évènements qui construisent de façon vivante une grammaire des identifications. Nos observations nous permettent de dégager des formes idéal-typiques qui recomposent dans diverses modalités ethnicité/race et religion à l'image des cadres développés dans la sociologie des religions anglo-saxonne : ethnic fusion ou religio-ethnic, religious ethnicity, ethnic religion (H. Gans, 1994 ; P. Kivisto 2007 ; P. Kivisto et P. R. Croll 2012).
Pour autant, nous tenons à souligner que même dans le cadre de ces formes idéal-typiques, les processus d'identification sont loin de figer les positions des acteurs. Ces derniers se situent constamment par rapport à ces formes idéal-typiques qu'ils épousent, traversent et permutent. En effet, autant il faut se départir d'un lien prédéfini entre religion et ethnicité, autant il faut exclure l'isolement et l'étanchéité entre ces formes idéal-typiques. Partant de nos observations, nous pouvons appréhender au moins trois configurations : l'ethnicité sans la religion qu'exemplifie très clairement un mouvement afrocentriste qui reconstruit une filiation entre les Soninke et les Egyptiens de l'époque pharaonique, établit une ‘'parenté génétique'' (C. A. Diop, ) entre la langue Soninke et la langue égyptienne pharaonique ; une ethnicité religieusement valorisée qui situe l'islam au pôle positif ou une religion ethniquement enracinée ; une islamité qui cherche à se départir de l'ethnicité, soninké tout au moins renvoyée ‘'au pôle idéologique négatif'' (G. Althabe et alii, 1985).
Une fois posées, ces configurations suffisent-elles à rendre compte de cette réalité que nous cherchons à saisir ? Comment combiner une approche analytique qui sépare pour articuler avec une approche synthétique qui tente de saisir l'unité vivante de la totalité ‘'historico-sociale'', du ‘'fait social total'' ?