Réalité protéiforme dont la constance historique interpelle, phénomène fuyant et disséminé se reflétant dans le miroir de réalités psychologiques ou anthropologiques, ensemble de faits plus ou moins organisés et dont la modernité supposait l'adynamie progressive... De quoi la religion est-elle le nom ? S'agit-il de cette institution destinée à entretenir des singularités ethnico-raciales, ou chargée de soutenir des considérations socio-politiques, ou occupée à contenir des besoins psycho-affectifs ? À chaque fois, la religion est pensée comme une institution sociale qui capte, supporte ou charrie d'autres réalités. Plus largement, les sciences sociales appréhende le religieux comme un phénomène paravent, une construction qui s'évertue de traduire, en langage rituel et symbolique, d'autres constructions sociales comme l'ethnie ou la race. Celles-ci introduisent des rapports de domination caractéristiques de « la pensée raciale » (Hanna Arendt, 2002). Dès lors, les production et reproduction des logiques inégalitaires du racisme peuvent recourir au religieux. Et un mot semble pouvoir le permettre en mariant la religion à l'ethnie ou la race : la culture. Le rapport entre le culturel et le religieux constitue un impensé des processus de racisation auxquels il participe, notamment dans les discours scientifiques sur et autour de l'islam.
En effet, une conception culturelle de l'islam introduit et perpétue son ethnicisation, malgré une désethnicisation du religieux que, contrairement aux représentations sociales, les pratiques observées assument. Les religiosités contemporaines exacerbent la distance entre culture et religion, et l'acculturation européenne de l'islam illustre vigoureusement ce processus de sécularisation (Göle, 2005). En s'autonomisant davantage, le rapport au sacré apparaît comme une réalité singulière toujours plus prégnante. La commodité qu'offrait le recours à la culture pour en parler (Niebuhr, 1996 ; Dervieu-Léger, 2006) n'est plus aussi confortable, entraînant une crispation de la pensée qui va recourir au religieux pour perpétuer des discriminations ethnico-raciales. Les récents usages de la laïcité sont particulièrement illustratifs de ce malaise à l'endroit d'un « sécularisme [qui] produit du religieux » (Roy, 2008).
Les différents discours publics vont institutionnaliser un rejet de l'islam (Goldman, 2012) que l'on peine à comprendre si on évacue les rapports de domination qui polarisent les représentations sociales. En Europe, l'opinion publique se fabrique à partir d'un dispositif discursif ethnocentrique qui s'évertue d'instaurer un ordre dépréciatif à l'égard de l'islam (Deltombe, 2005). L'islamophobie ne serait pas seulement cet ensemble d'opinions négatives à l'endroit d'une religion (Hajjat et Mohammed, 2013), et devrait être entendue comme « racisme d'État » (Liogier, 2012) mais un « racisme sans race » (Delruelle, 2013). En quoi en effet, l'islamophobie est-il un racisme ? N'y a-t-il pas là un déni de désethnicisation du religieux ? Se suffire de la majuscule pour distinguer « le groupe racialisé des Musulmans » de la communauté religieuse (Razack, 2011) n'induit-il pas « un manque à voir considérable » (Bensa, 2006) ? Cela ne consiste-t-il pas à reconduire ici une racisation culturaliste de l'islamité critiquée ailleurs ? Cette situation flottante ne participe-t-elle pas des difficultés à penser le religieux indépendamment de l'ethnique, du racial et plus largement du culturel ?
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