Par intervenant > Rigoni Isabelle

La visibilisation de l'Islam en Europe occidentale relève d'un processus pluridécennal d'abord marqué par la création d'associations puis de mosquées, et enfin par le développement du commerce islamique (boutiques de hijab, boucheries halal, librairies, etc.) (Cesari) et des médias se réclamant de la culture et de la religion musulmane (Rigoni, Siapera). Si le développement associatif, des lieux de culte et du commerce sont assez bien renseignés, la médiatisation de l'Islam reste encore largement à explorer. Dans la lignée de travaux relatifs à l'européanisation du débat public relatif à l'Islam (Dassetto, Nezar & Castells, Manço, Meyer & Moors, Amghar et al.), cette communication propose d'analyser les enjeux et les stratégies d'(in)visibilité de l'Islam dans l'espace public des sociétés européennes contemporaines, en prenant appui sur les expressions médiatiques. Notre réflexion s'appuie sur des enquêtes qualitatives menées en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne lors de la période 2001-2010, dans le cadre de plusieurs projets de recherche européens.

Le traitement médiatique exogène tout comme endogène de l'Islam pose la question de la visibilité de cette minorité religieuse et culturelle. Le recours des musulmans à la communication médiatique reflète différentes stratégies de visibilisation dont nous tenterons de rendre compte et qui permettent notamment d'appréhender les points de contact entre phénomènes culturels et phénomènes religieux. L'Islam médiatique pose également la question de l'invisibilité. Réfléchir à la dialectique visibilité/invisibilité permet d'interroger les représentations, d'une part véhiculées au sujet des minorités culturelles et religieuses, et d'autre part produites et mises en scène par les minorités elles-mêmes.

Cette communication traitera dans un premier temps de l'apparition de matrices communes à l'ensemble des pays européens relatives aux modes d'(in)visibilité de l'Islam, en dépit de traditions différenciées du rapport à l'immigration et au religieux : visibilisation croissante de l'appartenance ethnico-religieuse et affirmation de l'identité islamique (lieux de prière, question du voile/hijab/niqab, écoles islamiques, commerce du halal, associationnisme) versus stigmatisation de l'Islam et des musulmans liés notamment à des « événements de crise » (Boubekeur) qui vont amener les acteurs institutionnels ainsi que les médias à prendre en compte la variable religieuse comme mode déterminant dans la compréhension et la résolution des maux des sociétés contemporaines. Il s'agira de montrer comment, ces quarante dernières années, s'est peu à peu estompée la frontière entre l'Islam comme religion européenne de facto et l'Islam en tant que facteur politique exogène et autonome.

Dans un second temps, nous nous intéresserons aux stratégies de visibilité des citoyens européens de confession musulmane (Venel) – qu'ils soient de culture musulmane ou convertis (Allievi, El-Houari, Wohlrab-Sahr, Franks, Mansson, Del Olmo Pintado, Zebiri, Brice). Les entretiens menés auprès de la jeune génération de journalistes musulmans font apparaître que l'un des moteurs de leur engagement médiatique est la lutte contre les discriminations et l'islamophobie (The Runnymede Trust, Geisser, Deltombe). Nous soulignerons ainsi les processus de création et d'animation de médias musulmans par des « médiateurs d'une nouvelle pensée identitaire » pour lesquels l'Islam est envisagé non plus comme un corps de doctrine, sacré et immuable, mais « objectivé », placé dans une indéniable historicité, susceptible d'être débattu sur la place publique.