Médias musulmans en ligne : discours, différenciation et agentivité.
Anne-Sophie Lamine  1@  
1 : Université de Strasbourg, UMR Dynamiques Européennes
université de Strasbourg

Dans cette contribution, je considérerai des medias[1] musulmans français en ligne, comme forme de mobilisation ordinaire et analyserai les modalités et les variations des réponses à l'ethnicisation des musulmans, ainsi qu'aux formes de catégorisations que les acteurs musulmans opèrent (vis-à-vis de leur groupe ou d'autres groupes, minoritaires ou majoritaire). Je me baserai sur l'étude de quatre sites musulmans d'information en ligne (Saphirnews, Oumma, Al-kanz, Islametinfo). Plusieurs thématiques et évènements spécifiques seront privilégiés, afin de comparer leur traitement (par exemple : campagne d'information contre le racisme, agressions de femmes portant le voile intégral, controverse sur le genre, traitement des autres groupes religieux...)

L'analyse de ces quatre médias me permettra de mettre en évidence la diversité des réponses à l'ethnicisation, qui varie schématiquement entre deux pôles : d'un côté un renforcement de la différenciation et de la catégorisation, du « nous » et de l' « autre », « non-musulman », et de l'autre des tentatives de de-singularisation ou de « normalisation ». Cette formulation en polarité est évidemment idéal-typique, le premier pôle n'excluant pas la normalisation et le second pôle n'évinçant pas des processus de catégorisations.

Par exemple, l'analyse spécifique de Saphirnews[2] (média représentatif du second pôle) montre qu'un type de lutte pour la reconnaissance passe par une forme de normalisation (objectif d'être reconnu comme un media professionnel donnant une information considérée comme fiable par des journalistes non musulmans) et que cette agency révèle une forme de d'activité « pré-politique[3] » qui se réalise par la participation coopérative, permettant aux citoyens de « [percevoir] leur utilité en tant qu'instrument de résolution rationnelle des problèmes communs » (Honneth, 1998). Cependant, même dans ce cas, on n'évite pas certains effets de catégorisation (implicite ou explicite) de soi et de l'autre, par exemple dans l'opposition de deux « groupes », les « croyants » et les « non-croyants.

En plus d'être révélatrice de la pluralité interne du groupe, la diversité des modes d'ethnicisation, tout comme la variation de leur prévalence et de leur intensité, montre que l'effet d'interaction et de réaction à l'assignation sont loin d'être seulement subies, mais sont reconverties en ressource pour former des « contre-publics » (Fraser). Ces constats ne doivent cependant pas rendre mener à minorer la dimension « pré-politique » (de participation coopérative citoyenne), elle aussi d'intensité variable.

Le fait que l'agency des acteurs musulmans révèle des modalités de renforcement ou au contraire d'atténuation des processus de différenciation, nous rappelle ainsi l'importance de la grille d'analyse sociologique choisie, de ce qu'elle peut mettre en évidence ou à l'inverse laisser dans l'ombre[4].


[1] Sur les médias ethniques : Rigoni, I. & Saitta, E. (2012), « Democratizing the Public Space? Ethnic Minority Media in a Glocal Context », in Rigoni, I. & Saitta, E. (dir.), Mediating Cultural Diversity in a Globalised Public Space, New York, Palgrave Macmillan, p. 1-18.

[2] Effectuée dans un article en cours d'évaluation, portant spécifiquement sur ce média et ses acteurs.

[3] Selon Dewey (2010 [1927], Le Public et ses problèmes) et sa relecture par Honneth(1998, « Democracy as Reflexive Cooperation. John Dewey and the Theory of Democracy Today », Political Theory, 26: 763), le développement des procédures démocratiques présuppose une forme d'intégration sociale prédiscursive par une « conscience collective de l'association pré-politique de tous les citoyens ».

[4] Lamine A.-S. (2014) « Stratégies, différenciations et compromis : vers une grammaire de la conflictualité à dimension religieuse », in Lamine A.-S. (dir.), Quand le religieux fait conflit. Désaccords, négociations ou arrangements, Presses Universitaires de Rennes, p. 213-234.


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